ECCO HOMO

15 ans de fractal / Ecce Homo

Henri-Francois Debailleux
En latin, “Ecce Homo” signifie : “Voici l’homme”, en grec, “homo” a le sens de “semblable”, “le même”. Ce titre évoque donc à la fois l’idée d’identification et celle d’auto-similarité, mais il soulève également la notion d’apparition, c’est-à-dire comment à partir du rien ou plus exactement à partir du chaos, du Tohu Bohu, selon les termes bibliques, se crée l’homme, le“Glèbeux” au sens de celui qui, issu de la glèbe, prend naissance et forme.
In Latin, “ecce homo” means: “here’s man,” in Greek, “homo” means “similar” or “same.” The title therefore calls to mind both the idea of identification and that of self-similarity. It also brings up the notion of appear-ance, that is, how from nothing or more precisely from chaos, from Tohu Bohu in biblical terms, man, the “Glebeous” one, was created, in the sense of he who, emerging from the glebe, comes to be born and is formed.

Jean-Claude Meynard
Dans cette troisième partie, ce qui m’importe, c’est la notion de genèse, autrement dit la façon dont les cho-ses se forment. Toute formation, organisation implique un changement de disposition, de combinaison, un passage d’un état à un autre, à l’exemple de la cristal-lisation, passage d’un état liquide ou gazeux à un état solide, en l’occurrence d’une matière informe et même invisible à une matière formée, structurée, visible.
In this third part, what is important to me is the notion of genesis, in other words the way things take shape. Every formation and organization implies a change in arrangement or combination, a passage from one state to another, as in crystallization, a passage from a liquid or gaseous state to a solid state, indeed, from unformed, even invisible, matter to formed, structured, visible matter.

Henri-Francois Debailleux
En observant un cube de cristal de neige ou de glace on comprend très bien ce glissement de l’état liquide à l’état solide. À partir de là, la construction d’un igloo, d’un corps ou de toute autre forme devient possible.
Dans “Ecce Homo” vous montrez non seulement la cristallisation mais aussi le stade suivant, le possible d’une figure. “Ecce Homo”, c’est l’étape où l’on peut voir simultanément le potentiel d’une construction et les éléments constitutifs de cette construction.
Vous montrez donc là, l’étape antérieure aux deux chapitres précédents, “Identité” et “Méta”, où l’on allait vers un agrandissement. Maintenant, vous nous replongez dans l’infiniment petit, pour nous montrer la genèse de la forme. Pourquoi avoir fait, pour ainsi dire, ce trajet à l’envers en nous présentant ce chapitre en troisième partie et non en première partie ?
In observing a cube of snow or ice crystal, we under-stand quite well this shifting from a liquid to a solid state. From there, the construction of an igloo or of a body in any form becomes possible. In “Ecce Homo,” you not only show crystallization but also the following stage, the possible figure. “Ecce Homo” is the stage in which one can simultaneously see the potential of a construction and the constituent elements of this con-struction. Thus, you are showing us a stage previous to the two preceding chapters (“Identity” and “Meta”) where we were heading towards an enlargement.
Now, you plunge us back into the infinitely small, to show us the genesis of a form. Why did you choose this backward trajectory, so to speak, by presenting us this chapter in the third and not in the first part?

Jean-Claude Meynard
Pour que l’on comprenne bien la géométrie fractale, ses champs visuels et les itinéraires qu’elle propose, j’ai préféré montrer tout d’abord un sujet mis en perspective de manière exponentielle, avec tous les éléments nécessaires à sa construction déjà présents et visibles. Dans les œuvres de cette série “Ecce Homo”, les éléments sont présents mais disposés sans organisation visible. Le spectateur est face à ce qui apparaît, dans l’instant de la construction, face à ce passage mouvant entre le non-construit et le début du visible. Il n’y a pas de repères, de début, ni de fin. Chaque composition augmente le chaos qui lui-même enrichit un nouvel ordre. On est dans un système logique d’enroulement permanent, où la figure se développe sans fin, telle une spirale.
To better understand fractal geometry, its fields of vision and the itineraries it offers, I preferred to show first of all a subject put into perspective in an expo-nential manner along with all the elements necessary for its construction already present and visible. In the works in this series “Ecce Homo,” the elements are present but arranged without any visible organization. The spectator is faced with what is appearing, in the very instant of its construction, faced with this shifting between the un-constructed and the beginning of the visible. There are no reference points, no beginning, no end. Each composition augments the chaos which itself enriches a new order. We are in a logical system of permanent spiraling where the figure is in con-stant development.

Henri-Francois Debailleux
Donc, cette partie ne se situe pas à “l’envers”, mais elle s’inscrit tout simplement dans une logique, certes non-classique, non-euclidienne mais purement fractale. Une logique qui, alors qu’elle nous avait mis précédemment face à un certain ordre, nous confronte maintenant à un désordre. Ce chaos - comme nouvel ordre initial - nous conduit à son tour vers un nouvel ordre. Tout ordre est provisoire. Votre propos est de toujours jouer avec un état d’apparence, de formes et de figures, pour s’y noyer puisque tout se dilue sans cesse dans l’espace. En effet, plus on s’approche d’une forme perpétuellement inachevée - même si celle-ci, de manière illusoire, peut paraître finie - plus elle nous échappe.
So, this part is not “backwards” in relation to the other parts, but rather it is simply inscribed in a logic, albeit a non-classical and non-Euclidean one, a purely fractal logic. This logic, which previously confronted us with a certain order, now confronts us with a disorder. This chaos - as a new initial order - leads us in turntowards a new order. Every order is temporary. Your intention is to play with a state of appearance, of forms and figures, to then drown us in them since everything is endlessly diluted in space.
In fact, the closer we get to a perpetually unfinished form - even if in an illusory way it might appear finished - the more it escapes us.

Jean-Claude Meynard
Dans “Ecce Homo”, l’ensemble intitulé :
Narcisses - Plongeurs - Nageurs, en est un parfait exemple. J’ai intégré des miroirs dans chaque œuvre pour capter l’apparence de celui qui la regarde. Le tableau étant en construction, à composer, visuelle-ment instable, le spectateur se trouve à son tour inté-gré, par l’effet miroir, dans un univers rendu chaotique par les structures mêmes, en l’occurrence l’emboîtement et l’empilage des différents fragments et miroirs qui le composent. Sa propre image, un instant très proche et ressemblante, se brise en autant d’éclats que de miroirs qui la reflètent pour finir par lui échapper.
In “Ecce Homo,” the group entitled,
Narcissuses - Divers - Swimmers, is a perfect example of this. I integrated mirrors in each work to capture the appearance of the person looking at it. Since the painting is in a state of construction, to be composed and visually unstable, the spectator finds himself in turn integrated, through mirroring, into a universe ren-dered chaotic by the very structures themselves, in this case, the interlocking and piling up of various fragments and mirrors that compose it. His image, which for an instant is a very close resemblance, is broken up in so many bits as there are mirrors reflecting it. In the end, the spectator’s own image escapes him.

Henri-Francois Debailleux
C’est exactement le mythe de Narcisse qui, voyant son image dans l’eau, se penche sur elle jusqu’à la toucher, la brouille par l’effet des ondes et se noie dans son image disparue. Autrement dit, c’est l’illusion du contact avec ce que l’on reconnaît, ce que l’on croit défini, solide. Dans les premiers chapitres, l’image était brouillée par la prolifération, la complexité, ici la perturbation de l’image vient d’un changement de nature, d’état. Avec “Ecce Homo”, comment traduisez-vous cette différence sur un plan plastique?
It’s exactly like the Narcissus myth. Narcissus, seeing his reflection in the water, leans over to touch it and in so doing he makes ripples and waves that make it indistinct and then drowns in a vanished image of himself. In other words, it is the illusion of contact with what one recognizes, with what one believes to be defined and solid. In the first chapters, proliferation and complexity blurred the image. Here it is a perturbation of the image coming from a change in nature or state of the image. With “Ecce Homo” how do you translate this difference on a plastic level?

Jean-Claude Meynard
Dans cette série, les œuvres sont réalisées comme un jeu de Légo, comme des mosaïques. Tous les éléments, évidemment auto-similaires, comme une mémoire de la forme, s’imbriquent et s’emboîtent les uns aux autres selon le principe mâle-femelle, négatif-positif. Ils emplissent l’espace suivant une disposition qui repose sur les vides et les pleins. Ils s’attirent par symétrie et se cristallisent pour reconstruire une forme qui a été ordonnée et se présente désormais de façon incomplète et désordonnée. Une figure à reconstruire à partir de ces bris éparpillés où le spectateur est lui-même inclus par les effets miroirs de son image perturbée. Celle-ci, sous forme de fragments, participe à cet ensemble en devenir.
In this series, the works are constructed like a game of Legos, like mosaics. All the self-similar elements, like a memory of form, fit into each other and link together according to a male-female, positive-negative principle. They fill space according to an arrangement based on empty and full spaces. They are attracted to each other by symmetry and are crystallized to reconstruct a form that has been ordered and is presented in an incomplete and disordered manner. There is one figure to reconstruct from these scattered debris where the spectator is himself included by mirror reflections of his own perturbed image. This blurred image, in the form of fragments, participates in this whole in the processof becoming.

Henri-Francois Debailleux
Vous incluez ainsi le spectateur dans la construction comme dans la déconstruction, dans l’apparition comme dans la disparition du modèle. En l’intégrant, il participe au vivant de l’œuvre et en devient un des acteurs, sinon l’auteur. Il construit ce qu’il est, aussi bien psychologiquement que physiquement et son miroir n’en reflète que le résultat comme l’ont expliqué bon nombre de philosophies. De fait, vous augmentez encore le champ en intégrant dans l’œuvre, de façon réelle, le portrait, le corps de l’autre, en l’occurrence du spectateur.
You thus include the spectator both in the construction and in the deconstruction, both in the appearance and in the disappearance of the model. By integrating him into it, he participates in living the work and becomes one of its actors, if not its author. He constructs what he is, both psychologically and physically, and his mir-ror only reflects the result of it, as so many philoso-phers have explained. Indeed, you again augment the field by integrating the portrait and the body of the other into the work in a real way, in this case, those of the spectator.

Jean-Claude Meynard
Exactement, et en l’intégrant, j’introduis dans mon travail le principe du clone. Le clone, “l’homo”, le même qui rappelle que dans le phénomène du vivant, nous sommes tous similaires.
Comme dans la cristallisation, l’élaboration d’une forme, son développement se font par le clonage d’un élément originel, une matrice. Dans les œuvres de cette série, l’auteur, le sujet et le spectateur se con-fondent pour ne devenir qu’un. L’important est l’itinéraire emprunté en toute liberté par chacun pour reconstituer la forme ébauchée, la silhouette humaine récurrente dans mon travail. La singularité de chacun tient au rythme, au temps nécessaire à recomposer la figure reflétant sa propre image, son double.
Exactly, and by integrating him into it, I introduce the principle of “cloning” into my work. The clone, the “homo,” is the same, which recalls that in the phenome-non of the living, we are all similar.
As in crystallization, the elaboration of a form and its development are made by cloning an original element or a matrix. In the works in this series, the author, the subject and the spectator are blended into one.
The important thing is the itinerary embarked upon by each individual, given the complete freedom each per-son has to reconstruct the schematic form, the human silhouette recurring in my work. The singularity of each person is defined by the rhythm he adopts and the time he takes to recompose the figure reflecting his own image, his double.

Henri-Francois Debailleux
La différence se situe donc uniquement dans la lec-ture, dans le trajet suivi par le regard du spectateur, son histoire propre, puisque au final, le résultat est le même pour tout le monde. En effet, si visuellement, nous ne sommes pas totalement identiques, nous sommes tous pareils avec deux bras, deux jambes, une tête... Nous avons besoin de codes - un nom, un numéro de sécurité sociale - pour nous différencier et nous identifier (cf. Identité, pp. 19). Pourtant, il a tou-jours été dit qu’il n’y avait jamais deux formes iden-tiques dans la nature...
The difference is therefore situated only in the reading, in the trajectory followed by the spectator’s eye and his own history, since, in the end, the result is the same for everyone. Even if visually, we are not totally identical, we are indeed all alike in that we have two arms, two legs, one head... We need codes - a name, a social security number - to differentiate ourselves and identify ourselves (i.e., Identity, pp. 19). Nevertheless, it has always been said that in nature, there are no two identical forms...

Jean-Claude Meynard
La singularité se limite à un temps défini. Mais dans l’absolu, les particularités ne sont qu’apparences et ne proviennent que d’une disposition singulière à un moment donné, par rapport à un ensemble qui se réplique immuablement dans le temps (voir la figure en spirale de l’ADN). Le modèle du vivant est le même. Si l’on prend l’homme comme modèle de forme, mais aussi comme modèle de reproduction, mémoire de la forme, ilreproduit de l’humain, sa propre forme : le vivant reproduit du vivant. La réplique, la reproduction de l’image ou de la vie fonctionne tou-jours selon le même principe, à l’identique.
Singularity is limited to a defined period of time. Yet, in the absolute, the particularities are only appearances and only come from a singular arrangement at a given moment in relationship to a whole that replicates itself unchangingly in time (like the figure of the DNA spiral). The model of the living is the same. If we take man as a model of form, but also as a model of reproduction, as memory of form, he reproduces the human, his own form: the living reproduces the living. The replica, the reproduction of the image or of life, always functions according to the same principle, identically the same.

Henri-François Debailleux - 2004