MÉTA

15 ans de fractal / Méta

Henri-Francois Debailleux
En philosophie, dans les sciences humaines, en logique, “méta” prend le sens de “au-delà de” (cf. métaphysique). En géométrie, “méta” désigne une géométrie plus générale que la géométrie euclidienne et par extension une géométrie où l’on modifie un des axiomes fondamentaux de la géométrie classique. Quel sens lui donnez-vous dans votre travail ?
In philosophy, social sciences, and logic, the term “meta” takes on the meaning of “beyond” (as in metaphysics). In geometry, meta designates a more generalized geometry than Euclidean geometry and by extension, a geometry in which one of the fundamental axioms of classical geometry is modified. What meaning do you give this term in your work?

Jean-Claude Meynard
J’utilise “méta” pour parler du corps... aussi bien le corps humain (anatomie) que le corps architecture (habitat), que le corps urbain (la ville), que le corps social (la société), dans le sens de “au-delà de” de l’apparence immédiate. Mais je l’utilise également dans son autre acceptation, à savoir, mutation et métamorphose. “Méta” me permet donc d’évoquer le double objet de mon travail : montrer au-delà des apparences immobiles la métamorphose incessante.
I use “meta” to speak about the body... human bodies (anatomy) and also architectural bodies (habitats), urban bodies (cities), and the social body (society) in the sense of going “beyond” first appearances. Yet I also use it according to its other meaning, mutation and metamorphosis. “Meta” thus allows me to evoke the double subject in my work: showing incessant metamorphosis beyond static appearances.

Henri-Francois Debailleux
Au chapitre précédent “Identité”, vous partiez d’une matrice : le portrait. Là, c’est à partir du corps dans tous ses états et dans toutes ses dimensions, toujours structuré par la géométrie fractale, que vous élaborez ces compositions qui envahissent l’espace sous forme de proliférations, où chaque élément engendre le suivant et tisse un parcours aléatoire. Tous ces tracés, chemins, routes, bifurcations, croisements constituent une arborescence que l’on retrouve aussi bien dans la nature (d’où vient son nom) que dans la culture (mémoire, histoire...) et la technologie (le net).
In the preceding chapter “Identity,” you started off with a matrix: the portrait. Beginning with the body in all its states and dimensions, always structured by fractal geometry, you develop these compositions that invade space in the form of proliferations where each element engenders the subsequent one, weaving a random itinerary. All these tracings, roads, routes, bifurcations, and intersections constitute an arborescence that we find both in nature (whence it gets its name) and in culture (memory, history...) as well as in technology (the web).

Jean-Claude Meynard
En fait, je représente dans l’espace, une arborescence qui constitue elle-même un corps, un corps en mouvement. En choisissant telle ou telle bifurcation, le corps crée ou dessine sa propre forme par l’itinéraire qu’il emprunte. Cette composition en arborescence complexe rappelle l’idée de l’évolution de toute chose et du corps en particulier, c’est-à-dire d’une trajectoire qui à partir d’un tronc, d’une matrice, va s’initialiser en réseaux, de façon chaotique, et proliférer.
In fact, I represent an arborescence in space that constitutes itself as a body in movement. By choosing one fork in the road over another, the body creates or designs its own form according to the itinerary upon which it embarks. This composition in complex arborescence recalls the idea that everything evolves and, in particular, every body. In other words, a trajectory starting from a trunk or a matrix will branch out into networks in a chaotic manner and proliferate.

Henri-Francois Debailleux
Avec cette composition du corps en arborescence, on retrouve donc la même liberté visuelle que celle que l’on avait dans “Identité”. cette liberté qui nous permet, selon notre propre volonté, de reconstituer la forme que l’on veut ou peut voir.
With this composition of the body in arborescence, we thus rediscover the same visual freedom that we had in “Identity,” this liberty that allows us, at will, to reconstitute the form we can or want to see.

Jean-Claude Meynard
C’est effectivement la même idée de choix et de liberté qui guide le cheminement. Celui-ci se fait alors par pure fantaisie. On peut jouer là encore avec toutes les échelles et promener son regard de façon totalement aléatoire. Pour suivre le développement de la forme dans l’espace et son mouvement, le spectateur adopt-era une vision labyrinthique avec la liberté que cela suppose. Dans cette configuration, on va où l’on veut et l’on ne se trompe jamais : on peut passer par un point C ou Z pour aller de A à B, sans règle. Il n’y a pas de plus court chemin, il n’y a pas de ligne droite, il n’y a pas d’erreur puisqu’il n’y a pas une vérité, une solution, mais de multiples possibles. On est libre de son chemin visuel et en le parcourant, on crée son propre labyrinthe et donc sa propre figure. C’est exactement comme si l’on effectuait des zigzags, des allers-retours en laissant traîner un fil : au bout d’un certain temps on s’apercevrait qu’avec ce fil, on a composé des réseaux et une figure dont la forme nous est propre. Le fil ne sert plus à retrouver son chemin, mais à dessiner, à créer un chemin : une nouvelle définition du fil d’Ariane.
It is, in fact, the same idea of choice and freedom that guides the movement along the pathway. Pure fantasy creates it. Once again, we can play with different scales and move our eyes around in a completely ran-dom way. In order to follow the development of the form in space and its movements, the spectator will view things as if in a labyrinth and benefit from the freedom this supposes. In this configuration, we go wherever we want to and we never make a mistake : we can go by way of point C or Z to go from A to B, without a ruler. There is no shortest path, no straight line, and no error since there is no one truth or solu-tion; there are multiple possibles. One is free within one’s visual field and by moving through it, one cre-ates one’s own labyrinth and thus one’s own figure. This is exactly as if we were making zigzags, back and forth, while letting a string drag behind us : after some time, we would realize that, with this string, we had made networks and a figure of our own. The string is no longer used to find our way back along the road, but rather to design and create a new path, a new definition of Ariadne’s web.

Henri-Francois Debailleux
C’est un “dédale” que vous proposez avec ses réseaux de circulation qui prendront sens sous les regards différents et uniques de chaque spectateur.
You suggest a “maze” with its circulation networks taking on different meanings according to various and unique spectators’views.

Jean-Claude Meynard
Ce dédale est un modèle architectural, mais à propos de mon travail on peut parler aussi de coupes anatomiques dévoilant des architectures évolutives, vivantes.
The “maze” is an architectural model, but with regard to my work, we can also speak of anatomical sections revealing evolving, living architectures.

Henri-Francois Debailleux
À propos de cette idée d’architecture vivante, on peut prendre comme exemple un immeuble qui au premier regard est perçu comme un tout, alors qu’il est com-posé d’appartements bien distincts occupés par des individualités qui, bien que vivant en même temps, à la même adresse, dans un même ensemble, ne vivent pas la même chose et demeurent indépendantes, même si elles utilisent des réseaux communs (con-duites d’eau, de gaz, d’électricité...) Leurs circulations internes à l’immeuble restent autonomes et leurs rela-tions aux autres particulières. Cela fait penser, en coupe, à l’immeuble dans “Playtime” de Jacques Tati où l’on voit tous les habitants, à tous les étages, s’activer en même temps.
Concerning this idea of living architecture, we can take a building as an example. At first glance, it appears as a whole, even though it is composed of very distinct apartments occupied by individualities who, although they are all living at the same time, at the same address, and in the same complex, do not live the same thing and remain independent, even if they all use common networks (water, gas, electricity...) Their circulation inside the building remains autonomous and their relations with others are particular. It makes one think of the building section in Jacques Tati’s “Playtime” where we see all the inhabitants, on all the floors, moving around at the same time.

Jean-Claude Meynard
Avec ce regard extérieur, on peut parfaitement perce-voir l’interdépendance entre le corps humain et le corps de l’immeuble, les deux étant animés par des circulations, des flux comparables.
With this external viewpoint, one can see perfectly well this interdependency between human bodies and the body of the building as both are animated by similar circulation flows.

Henri-Francois Debailleux
En passant du portrait et de l’autoportrait au corps, vous gardez en fait la même structure mais en changeant d’échelle, en augmentant la notion d’identité, en élargissant l’idée de l’être...
Moving from the portrait to the self-portrait to the body, you are, in fact, maintaining the same structure but you are changing the scale, increasing the notion of identity and enlarging the idea of being...

Jean-Claude Meynard
Si l’on prend le mot augmentation, il faut le lire comme une augmentation de l’espace. Avec “Identité”, j’évoquais l’intériorité, là, j’aborde l’extériorité. J’augmente le volume pour passer de l’intérieur à l’extérieur. Et j’insiste sur ce terme de rapport puisqu’il s’agit là du corps, de son déplacement, de son cheminement. Que se passe-t-il lorsqu’un corps se déplace dans l’espace ?
Qui bouge ? Le corps ? L’espace ? Est-ce le corps qui bouge l’espace ? Et dans ce cas que devient l’espace ? Quand un corps avance, il pousse l’espace, c’est-à-dire des particules, et cet espace se redistribue. Peut-être passe-t-il derrière, comme une vague ?
Quoi qu’il en soit, si on reconnaît le corps, c’est bien par sa masse, son volume par rapport à un espace.
En fait, le corps définit l’espace et l’espace définit le corps.
If we use the word “increase,” it should be read as an increase in space. With “Identity,” I was evoking interiority whereas here I am dealing with exteriority.
I increase the volume to move from the inside to the outside. And if I insist on this term “relationship,” it is because it is a question of the body, its displacements and its itinerary. What is happening when a body moves in space?
What moves? The body? Space? Is it the body that is moving in space? And in this case, what does space become? When a body advances, it pushes space, that is, particles, and this space is redistributed. Perhaps it moves behind it, like a wave?
Whatever the case might be, if we recognize a body, it is due to its mass and its volume in relation to a given space. Actually, the body defines space and space defines the body.

Henri-Francois Debailleux
Cela signifie que dans ce rapport mouvant d’échanges, les deux appartiennent au même univers. En effet, lorsque dans une rue, on observe la circula-tion des flux de piétons ou de voitures, on s’aperçoit qu’ils forment des vagues, des colonnes, des files. On est face à un ensemble qui bouge, une entité mou-vante, et dont on peut suivre les arrêts, les redémar-rages, comment tout cela se redistribue et se reforme. Quant aux individualités qui, avec leur cheminement propre, composent cette foule, elles peuvent aussi se disperser et donc déconstruire l’ensemble pour le reconstruire ensuite.
This means that in this dynamic relationship of exchanges, both belong to the same universe.
Indeed, when one is in the street observing the circu-lation flows of pedestrians or cars, one realizes that they form waves, columns and lines. Confronted with a moving mass, a moving entity, one can follow how it stops and starts again, how it redistributes and forms together again. As for the individualities on their own paths that compose this mass, they too can be dis-persed and therefore deconstruct and eventually reconstruct the whole.

Jean-Claude Meynard
En décalant le point de vue, on passe donc de l’image de cette masse à l’image de l’individu et vice-versa. Le changement d’échelle est là, dans ce passage d’un espace individuel à un espace social. On sort de l’intimité, du monde intérieur, imaginaire, pour se fon-dre dans le collectif, l’architecture extérieure.
By shifting the point of view, one moves from the image of this mass to the image of the individual and vice versa. The change in scale is there in the pas-sage from an individual space to a social space. We exit the private, internal, imaginary world to melt into the collective, external architecture.

Henri-Francois Debailleux
Par “méta”, vous désignez donc ce glissement d’un corps à l’autre et cette interaction constante entre le un et le tout, qui passent nécessairement par des changements de dimensions, d’espace et par des per-ceptions différentes...
Using the term ”meta”, you therefore designate this sliding from one body to another and this constant interaction between the one and the whole, which necessarily goes through changes in dimensions, space and different perceptions...

Jean-Claude Meynard
Oui, sans oublier en plus toutes les perturbations et incidents qui peuvent advenir et engendrer de multi-ples conséquences, phénomène connu sous le nom “d’Effet Papillon” ou comment un battement d’aile du lépidoptère au Brésil peut déclencher une tempête au Japon.
Yes, and I do so especially keeping in mind all the perturbations and incidents that can occur and engen-der multiple consequences. That’s known as the “Butterfly Effect” or how a lepidopteran beating its wings in Brazil can set off a storm in Japan.

Henri-Francois Debailleux
Bénin au départ, l’événement (au sens du mot latin “evenit” : il arrive quelque chose) crée d’un seul coup une distorsion énorme aux effets exponentiels dans l’espace et le temps. On pourrait aussi donner l’exemple des dominos (réaction en chaîne), du château de cartes ou de la rencontre inopinée de deux grains de sable identiques qui bloquent tout le sablier, arrêtent le mouvement, le temps, la vie.
Harmless at the outset, in one fell swoop, the event (in the Latin sense of the word evenit: something is happening) creates an enormous distorsion with exponential effects in time and space. One could also cite the example of the domino effect (chain reaction), a house of cards or the fortuitous encounter between two identical grains of sand that block an hourglass, stopping movement, time and life.

Jean-Claude Meynard
C’est exactement cela que je cherche à montrer, comment des circonstances particulières appelées “hasard”, l’aléatoire inhérent au vivant, peuvent modifier la forme d’un tout, par un système de conséquences infinies. “Méta”, c’est cet au-delà du corps, ce dépassement de l’être singulier qui entre en connexion avec un ensemble tout en gardant son identité, au sein même d’une construction, d’une architecture plus vaste.
That’s precisely what I am trying to show, how particular “chance” circumstances, the inherent randomness of living, can modify the form of the whole through a system of infinite consequences. “Meta” is this beyond-the-body, this going beyond the singular being that connects to the whole while maintaining its own identity, even within a construction and a much more vast architecture.

Henri-François Debailleux - 2004