LA TRAME DE LA COMPLEXITÉ
Après Venise, je suis allé à la Seyne - sur - Mer, près de Toulon (Var - France) pour visiter la grande exposition de Jean-Claude Meynard : Babel, la Géométrie des Enigmes – qui avait lieu du 12 septembre au 17 octobre 2010.
En tant qu’ami de Jean-Claude Meynard depuis plus de 20 ans, j’ai conscience que ma position déroge aux canons du puritanisme de la critique américaine qui, comme le rappelait le regretté Gianfranco Mantegna à New York, aurait peiné à accepter que je sois à la fois juge et parti, ami et critique. Cependant, l’occasion qui m’est donnée ici d’aborder l’œuvre de Meynard dans sa totalité est si belle que je demande à mon lecteur la permission de témoigner de mon impartialité, au moins intentionnelle.
En acceptant d’exposer dans les espaces de la Villa Tamaris, vaste résidence que Michel Pacha, à la fin du XIXème siècle, avait fait construire, comme 50 autres villas, pour les vacances d’hiver de la riche société européenne – toutes ces villas rappelant la luxuriance architecturale des palais du Bosphore – seule la Villa Tamaris ayant été transformé dans les années 90 en Centre d’Art – Meynard se trouva confronté à un double défi.
Le premier, extrinsèque, relatif à la difficulté de l’espace ; le second, intrinsèque, relatif à la lisibilité de son travail à partir de ses premières œuvres des années 1970.
Refusant la chronologie banale de la succession par époques, l’artiste a opéré des croisements de façon à rendre intelligible la dynamique de son parcours et la richesse de ses références qui sont des constantes dans sa création.
Le sens de l’exposition est un labyrinthe qui renvoie l’image d’une machine à jouer avec le temps, comme un jeu combinatoire selon les rapprochements d’œuvres d’époques différentes.
La lecture de l’exposition a ainsi une double orientation suivant que l’on oriente la flèche du temps vers le passé ou vers le futur : c’est au spectateur de choisir l’itinéraire.
En revanche, Meynard impose une échelle de contenus sémantiques articulés selon la logique fractale (que l’artiste, fondateur du Mouvement Fractal, traduit visuellement de façon désormais presque instinctive) en sous-ensembles illustrant le thème général.
Si l’on parcourt l’œuvre chronologiquement, on va de l’Hyperréalisme (1973-1975) à la Géométrie des Enigmes avec Schizophrénies (75-76), Série noire (76-78) et La vie en Jeu (78-81), puis La Géométrie des Corps avec Corps et Graphiques (83-85), le Radeau des Muses (85-88), Corps et Ames, et Echos (88-91), pour conclure avec La Dimension Fractale de l’Homme, divisé en Corps Recomposés (91- 99), Les infinis (2000-2004) et Meta (2005-2008). Ce qui demeure, dans cette suite temporelle qui lie les extrêmes : l’Hyperréalisme au Fractal, c’est le gradient de base de la complexité, ou plus exactement l’action même de représenter la complexité, c’est à dire la complexification que l’artiste travaille de façon différentes selon les époques.
Les œuvres de jeunesse, qui montrent l’extraordinaire virtuosité technique de l’artiste, sont construites par accumulation de détails, dont la somme définit la complexité comme totalité, tandis que les œuvres de la maturité procèdent par combinaisons d’éléments particuliers capables ( grâce au degré d’auto-similarité et à la micro/macrologie du fractal) de subsumer la totalité comme complexité.
C’est pour cela que l’artiste a proposé dans son exposition la possibilité d’hybrider deux époques, Hyperréalisme et le Fractal, dans des « constructions » qui font une synthèse non dialectique mais disjonctive, pour citer Deleuze, dans l’élaboration figurative.
Le nec plus ultra de l’exposition réside dans la suggestion d’hybridations que Meynard proposent aux spectateurs – et à lui-même comme une troisième étape possible dans sa création. La forme extrêmement minutieuse de la représentation qu’il a faite dans ses tableaux hyperréalistes pourrait ainsi se greffer comme un « morphing » sur l’iconicité abstraite, géométrique de ses œuvres fractales… Je suis sûr que Meynard va tenter l’expérience et qu’il a déjà la solution dans sa poche.
Gian Carlo Pagliasso - janvier 2011
Revue Zéta 95 - Campanotto Editore