LA COMPLEXITÉ DU RÉEL
« Face à la complexité du réel, il faut éviter le chaos, sans refuser le chaos particulier. »
Jean-Claude Meynard considère l’art en tant que recherche permanente en mouvement.
De l’hyperréalisme au fractal, voici son itinéraire. Osé.
Sur le site Wikipedia, la page consacrée à Jean-Claude Meynard est un modèle de clarté pour s’informer sur son parcours artistique. Note de départ : Né en 1951, Jean-Claude Meynard est un artiste contemporain français dont l’œuvre va de l’hyperréalisme à la géométrie fractale et àl’art numérique. Il est l’un des signataires du Manifeste Fractaliste. Son œuvre est axée sur L’exploration de la complexité du réel et la mise à jour d’univers géométrique. Suivent ensuite les différents points d’orgue, dont voici le résumé. Dans tes années 1970, au début de sa carrière, Jean-Claude Meynard s’inscrit dans le courant de l’hyperréalisme. Ses toiles représentent des scènes urbaines, des figures emblématiques de la société [le métro, la moto, les bars, les flippers, etc.). La composition est dépourvue de hiérarchie et de centre focal...
A partir des années 1975, son style évolue, sans rien perdre de sa précision, se brouille, se floute, avec des effets de lumière, de cadrage et de composition proches de la diffraction. Il utilise alors l’expression « La Géométrie des Énigmes » pour désigner son travail... À partir des années 1980, il utilise la seule lumière pour figurer les présences humaines. Les êtres, les contours des corps sont peints comme des rayonnements, des tracés, des lignes luminescentes...
En 1990, il expose la série Corps et Âmes consacrée à la fragilité de l’identité humaine représentée par des corps qui perdent leurs contours, leur ligne organique ou bien se dédoublent, le dessin et la couleur étant dissociés.
Dans la série suivante, Scribes et pharaons [1994), ses œuvres perdent peu à peu l’anthropomorphisme des silhouettes, pour devenir une composition fragmentée, un entrelacs de structures...
Il va alors utiliser la géométrie fractale pour représenter la complexité. Il abandonne la perspective euclidienne pour le principe fractal d’expansion, de saturation et de réseaux à l’infini. Il entérine l’utilisation de la géométrie fractale en devenant l’un des cosignataires du Manifeste Fractaliste en 1997, aux côtés d’artistes tels que Miguel Chevalier, Carlos Ginzburg, Pascal Dombis et Joseph Nechvatal. Après avoir exploré les composantes fractales avec les outils classiques de la peinture, il construit des œuvres en relief et volume.
Depuis 2007, Jean-Claude Meynard travaille sur le projet Babel du nom de la tour mythique. Nous lui avons rendu visite dans son atelier de Valbonne avant L’exposition « Babel, La Géométrie des Énigmes », montrée début septembre à la villa Tamaris.
Jean-Pierre Frimbois - Pouvez-vous d’abord nous préciser La nature de cette exposition « Babel, La Géométrie des Énigmes »
Jean-Claude Meynard - L’idée de Robert Bonnacorsi, directeur de la villa Tamaris, était de montrer un ensemble de mes œuvres, des années 1970 à aujourd’hui, de l’hyperréalisme au fractal et de les rapprocher par paire de différentes époques, de façon à montrer leurs rapports, de créer une composition nouvelle et de les hybrider, donc. Ils seront montrés sans référence de dates et sans chronologie préalable. D’autre part, en extérieur, sera présenté un ensemble de propositions sculpturales de grande taille. Les dimensions du lieu permettent d’accueillir un ensemble important d’œuvres, une centaine dans ce cas particulier, montrant différents aspects de trente-cinq années de mon travail.
JPF - Le terme fractal est lié aux mathématiques dans le Larousse. De quoi s’agit-it, sur le plan de l’art ?
JCM - Le terme figure aussi dans le Robert et vous trouvez différentes pistes concernant l’art fractal sur Internet. Pour résumer, il s’agit de l’utilisation d’une nouvelle géométrie, dans les années 1990. Nous fûmes un groupe de onze artistes, en 1997, à reprendre le terme sur le plan artistique et nous avons été les signataires du Manifeste Fractaliste, en 1997. Le mot fractal faisait alors peur. Ce qui est artistique ne pouvait être science. Nous avions envie de donner un coup de pied dans la fourmilière. Il aura fallu nous expliquer sur des notions comme le micro et le macro en état d’interdépendance, sur le fait que la notion de vivant était en train de changer, que l’homme fait partie intégrante de La nature ou que tout le vivant est arborescence. Voici autant de pistes qui pouvaient être suivies. Ce que nous avons fait, chacun avec sa technique propre. En passant de la parole à l’acte et en essayant de dépasser le cadre de l’ego personnel.
JFP - Comment passer du général au particulier ?
JCM - Dans fractal, il y a La notion de fracture, donc l’idée de briser. D’abord, briser ce qu’on croit connaître. Prenons une feuille, par exemple. Souvent, l’artiste la représente sous la forme d’une tache verte. Dans la démarche fractale, nous allons considérer ses nervures, son réseau, sa cartographie et tenter de recomposer sa structure par une nouvelle architecture artistique. Prenons l’exemple d’une chaise un peintre hyperréaliste va la traiter avec minutie, dans le moindre détail. Pour un artiste fractal, cette chaise n’est pas perçue dans sa globalité. Ce sont la patine, les reflets, la fibre ou les textures qui sont au centre de la démarche.
JPF - Cela entraîne-t-il un abandon de L’émotion ?
JCM - Certainement pas, mais il s’agit alors d’une autre alchimie intellectuelle, D’abord, considérer qu’il n’y a pas une vérité, mais des milliards de vérités. C’est comme pour un film, il s’agit de raconter une histoire et ceci dans le cadre d’une évolution technologique constante, celle liée aux multiples possibilités nouvelles offertes par l’informatique. Notre groupe fractal s’est d’ailleurs dissocié parce que certains d’entre nous ont pris en main ces nouvelles technologies, pendant que d’autres sont restés sur des techniques plus classiques. Car il faut à la fois codifier et rester inspiré. Je me suis créé mes propres programmes. En fait, j’ai l’impression d’avoir ouvert un nouveau livre, plus mobile que précédemment, ce qui m’a emmené vers un nouveau parcours dans la complexité du réel. Il s’agit d’éviter le chaos général, mais de ne pas refuser le chaos particulier.
JPF - Prenons un exemple, celui de la dernière série sur laquelle vous continuez à travailler, Babel.
JCM - Tout le monde connaît le fameux mythe de la Tour de Babel biblique qui voulait atteindre le ciel, jusqu’à ce que la volonté divine en décide autrement. Il ne s’agissait pas, pour moi, de la construire artistiquement avec des briques ou des pierres. Je suis parti d’un dessin qui m’a servi de matrice, celui de silhouettes humaines que j’ai dessiné en 2008, La Babel matrice, et qui a fait l’objet d’une sérigraphie. Avec la volonté de pouvoir le décliner sous toutes formes de surfaces : verre, métal, PVC, Plexiglas miroir ou même sur toile, en deux comme en trois dimensions. Robert Bonnacorsi a parlé de Babel comme « d’une architecture infinie d’hommes, une chaîne d’humanité appartenant à la même écriture, silhouettes d’architectures d’un village mondial irréductiblement complexe ». C’est un bon résumé.
JPF - En extérieur, vous allez montrer, entre autres, une grande sculpture circulaire, découpe sur aluminium, intitulée Word Stabile. Pouvez-vous nous en parler ?
JCM - Je suis parti de l’idée de la sphère du voyage, celle de Christophe Colomb. Il s’agit aussi d’une métaphore de la longitude et de la latitude. Les silhouettes humaines qu’on y voit nous représentent, nous, les hommes, avec des notions induites comme celles de la complexité du monde, du groupe humain, de son déplacement, de son augmentation constante et même de sa prolifération. Cela me remet en mémoire cette citation d’Henri Laborit : « La plus grande bombe atomique, c’est l’être humain » C’est une phrase qu’il convient toujours de méditer.
Propos recueillis par Jean-Pierre Frimbois, directeur éditorial du Magazine Art Actuel - juillet 2010